lundi 12 septembre 2016

Observation et expérimentation

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Cet article a été rédigé en grande partie sur la base du livre « L'observation scientifique » de Vincent Israël Jost, que je conseille aux lecteurs souhaitant approfondir ces questions.

L'une des caractéristique importante de la science est la méthode par laquelle elle parvient à produire une connaissance du monde. S'il n'est pas certain qu'il existence une unique méthode scientifique partagée par toutes les disciplines, de la sociologie à la physique, on peut au moins s'accorder sur un point : la confrontation systématique à l'expérience, par nos observations, y joue un rôle central. Pour cette raison, il peut être intéressant de se pencher philosophiquement sur la notion d'observation scientifique, et sur l'expérimentation en général.

« Observation » est un terme du langage courant qui fait référence à la perception directe de phénomènes par la vision. On peut imaginer que cette notion était pertinente en science il y a quelques siècles, quand, en effet, les scientifiques observaient la nature à l’œil nu pour confirmer leurs théories, ou utilisaient des instruments comme les loupes et les lunettes qu'on conçoit assez facilement comme de simples extensions de notre vision naturelle. Mais aujourd'hui ? Quand une équipe du CERN affirme avoir observé le boson de Higgs, il ne s'agit certainement pas d'une observation directe : la complexité des appareillages et des traitements informatiques est telle que, finalement, ce ne sont jamais que des rapports produits par des ordinateurs que nous observons directement, et finalement, l'observation au sens originel, à l’œil nu, ne joue qu'un rôle minime, en bout de chaîne, dans les expériences du CERN.

De manière général, on a vu se développer de manière importante au 20ème siècle l'instrumentation scientifique : nous savons désormais détecter des rayons X ou infrarouge par exemple, et ceci nous permet d'observer les os de notre corps sans procéder à une dissection. La technique nous permet à la fois d'étendre le champ de ce qui est observable, c'est à dire de découvrir de nouveaux phénomènes, et d'offrir de nouvelles perspectives ou de nouveaux accès sur des phénomènes ou objets déjà connus (comme les os).

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On a vu également, plus récemment, se développer l'informatisation des instruments : les images issues des télescopes ou des microscopes passent désormais par des capteurs qui les convertissent en données numériques. Ces données peuvent être traitées, puis restituées sous forme d'images ou de graphes sur des écrans d'ordinateur, parfois avec des couleurs artificielles destinées à nous faire voir des choses qu'on ne pourrait normalement voir à l’œil nu. Le traitement numérique sert à nettoyer les données (à éliminer le bruit), à les sélectionner, à les interpréter (en leur appliquant par exemple des équations théoriques), à les présenter…

Tous ces aspects introduisent des couches intermédiaires entre les phénomènes que nous mesurons et l'observation directe, et nous éloignent de l'idéal de la confrontation directe à l'expérience, dont l'exemple typique est l'observation à l’œil nu, que les philosophes entretenaient traditionnellement avant ces développements techniques.

Dans cet article nous allons commencer par nous interroger sur cette notion idéal d'observation directe. Nous allons voir qu'elle n'a vraiment rien d'évident. Puis nous nous pencherons sur tous les problèmes que soulève une notion d'observation étendue aux instruments. Finalement la question pourrait être : où s'arrête l'observation, et où s'arrête la théorie ? Et il n'existe aucune réponse claire à cette question : théorie et observation sont, en général, mêlées l'une à l'autre et ne sont pas vraiment séparables.